Initialement je comptais simplement
le mettre en ligne, sans commentaire aucun. Parce qu'il me plaisait, parce qu'il m'avait touchée, et surtout parce que, mais je déteste ce ton de critique des Inrocks que je ne suis pas, c'est un morceau qui met en scène, d'une façon drôle et espiègle, une fille qui sait répondre aux remarques des hommes dans la rue, une fille qui déclasse et qui remet les choses à leur place, retournant la situation non sans un certain chic. Une fille qui reconquiert son territoire dans l'espace urbain et qui, sans enfoncer les mecs, leur explique quand même que les bonjour mademoiselle suivi d'un je te baise salope, ça va deux secondes mais qu'au bout d'un moment on n'en peut plus mais alors vraiment plus, et qu'il faudrait songer à changer de disque.
Sauf que. Il se trouve que l'auteur-interprète Koxie, à qui je ne demandais pas non plus de se revendiquer féministe depuis trois générations, je peux comprendre que l'étiquette ne soit pas forcément facile à assumer je ne suis pas complètement bornée, tient des propos assez limites. Par exemple,
ici ou
là, on apprend qu'elle adore les machos, qu'elle est contre l'égalité des hommes et des femmes - et là je demande à voix grave, si un-e artiste déclarait, je suis contre l'égalité des juifs et des chrétiens, ne crierait-on pas immédiatement au scandale ? - et même qu'elle trouve ça très bien qu'une femme soit un peu soumise, sans parler de sa passion pour le travail domestique. Et encore, je vous épargne le pire sur les femmes castratrices et les rôles ancestraux qu'il serait bon de restaurer.
Du coup, perplexité, questionnements, réécoute de la chanson. Car si un discours neutre, du type dans ma chanson je décris un truc qui m'énerve c'est juste mon vécu ne cherchez pas de grande théorie derrière, aurait été parfaitement recevable, là il y a quand même du grand écart de haute volée, cherchez l'erreur. Alors je cherche, je cherche. Je repense notamment à son "
on t'a pas dit de traiter des femmes comme des princesses ? ", passage que j'avais déjà relevé à cause de princesse, ce mot haïssable tant il empeste le trophée muet et passif offert aux hommes parcourant initiatiquement le monde, mais en fermant les yeux car me disant, c'est pour la rime soyons ouvertes d'esprit et arrêtons de chercher la petite bête partout. Or si vu la nature des propos dispensés lors des séances de SAV, qui relèvent soit de la surenchère sexiste motivée par l'angoisse d'être classée féministe poilue des aisselles, soit de la connerie, soit je ne sais pas, la fameuse princesse prend clairement des allures de bobonne dans sa cuisine mobalpa, la clef du paradoxe se trouve finalement, à mon sens du moins, dans la réplique "
y'a un sérieux problème d'éducation", que j'avais, trop optimiste à mes heures, interprétée comme "y'a un problème dans la façon dont les hommes sont éduqués". En effet, quand on lui demande quelque chose comme, mais n'êtes vous pas en train de stigmatiser les lascars des banlieues avec votre chanson (enfin la question je la devine simplement, elle a été coupée au montage, il s'agit de l'interview linkée plus haut), la chanteuse répond comme une fleur que justement, "ce n'est pas une question de milieu social, c'est une question d'éducation" juste après avoir précisé, "moi j'ai été élevée" : on est contente pour elle, et surtout on se réjouit d'apprendre que l'éducation que les parents dispensent à leurs enfants n'est pas fonction du milieu, décidémment les classes sociales c'est désormais complètement
has been. Partant de là, si je résume le message, la chanson est - selon son auteure - juste un coup de gueule contre les vilains garçons mal élevés, leurs mauvaises manières n'ayant aucun rapport ni avec leurs origines sociales, ni avec leur genre. Laissons ici la question des origines socio-culturelles, qui pourtant aurait mérité un développement, car
l'exotisation du sexisme semble à la mode ces temps-ci, et concentrons-nous sur le genre. Koxie encore, précise
ici : "je ne suis pas contre les mecs, je suis contre les cons en général". C'est beau je trouve, ce combat si politiquement correct contre la connerie universelle, personnellement je suis très touchée et j'en conclus qu'en toute logique, lorsqu'un homme me dis je t'encule pétasse, j'ai juste affaire à une personne particulièrement discourtoise qui n'a pas lu Nadine de Rothschild, et pas du tout à un pur jus du sexisme. Reste une question, tout de même : pourquoi si peu de connerie de ce type-là chez les filles, pourquoi si peu de "salut charmant prince lèche-moi la chatte" entendus dans la rue, en d'autres termes pourquoi la connerie a-t-elle, malgré tout, un genre ? Phénomène que Koxie, en refusant de voir ce que pourtant elle pointe du doigt, illustre à la perfection, car la connerie récurrente des filles, et je ne dis pas qu'il est facile de s'en débarrasser, pas plus facile en tout cas que de celle des garçons, c'est de rester aveugle à la dimension sexuée des rapports sociaux et de ne pas voir qu'il est juste intenable de se plaindre des agressions verbales tout en défendant une répartition traditionnelle des rôles masculins et féminins. En un mot, si tu exiges qu'on te tienne la porte, ne te plains pas que ce faisant on te mate le cul, c'est un package.