jeudi 21 février 2008

C'est pour ton bien

Je mets du temps à m’en rendre compte. Parce que c’est fait de façon très discrète, à peine perceptible. Mais le fait est que cela fait un mois que je suis ici, et que je ne suis encore jamais sortie seule dans la rue. Il y a toujours quelqu’un de la famille pour m’accompagner, il y a toujours un frère, une sœur, une mère, qui a pile une course à faire au moment où je décroche mon manteau pour aller faire un tour, comme ça tombe bien. Ce n’est pas pour me surveiller, bien sûr. C’est juste comme ça, pour être avec moi. Ou pour que je ne me perde pas. C’est très gentil. Ils sont très gentils d’ailleurs. Ils m’aiment beaucoup. Je suis comme leur fille. Ils m’accueillent sous leur toit, ils me font des cadeaux, ils me préparent des repas délicieux, et ils me chérissent comme leur fille. Mais. Le jour où, pour la première fois, je prends un rendez-vous pour boire un café en plein milieu de l’après-midi avec une copine autochtone, je commence à comprendre. La fille en question est la meilleure amie du fils de la famille, mais ce n’est pas une caution suffisante, on la trouve un peu légère. Pas très recommandable. Vulgaire. Et célibataire. Or sur le boulevard, il y a tant de garçons à l’affût des filles seules, je ne peux pas me rendre compte, moi, en France les hommes sont différents, mais ici, ce sont des prédateurs. Des rapaces. Il faut s’en méfier. Donc non, je ne dois pas y aller. J’ai vingt ans, je suis adulte, en France j’habite seule et je suis libre de mes allées et venues. Oui mais la France, c’est bien autre chose, je ne peux pas comprendre. Ils savent, eux, mais pas moi. C’est pour mon bien. Pour me protéger. Parce qu’ils m’aiment. Comme leur fille. Et parce qu’ils m’aiment et que je les aime aussi, je n’ai pas le cran de prendre ma valise et de claquer la porte, je n’ai pas le cran de dire ce que je pense, je les blesserai trop, ce serait terrible. Alors juste, je rentre ma colère en moi et je pleure sur l’injustice du monde. Après tout, il y a pire que ne pas avoir le droit d’aller boire un café sur un boulevard, de quoi je me plains.

3 commentaires:

Monierza Molia a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Anonyme a dit…

en cachette? un polochon dans les draps?

Anonyme a dit…

It's a long way, Alexe. A long long way... Et moi qui te le dis n'ai plus 20 ans depuis lomgtemps. Mais faut la parcourir, car ça en vaut la peine; let's go.

Lory, ici: http://lorycalque.joueb.com/