mercredi 5 septembre 2007

Des fantômes

Je me retrouve souvent entourée exclusivement d’hommes. Pourquoi ? Je ne le sais pas trop. Disons que les conversations sur les méthodes épilatoires ou l’astrologie versus le tarot ou nos 100 looks préférés ne m’intéressent pas mais, faut pas déconner, il y a des tonnes de femmes qui sont dans le même cas. La question serait alors plutôt pourquoi ces femmes ne sont-elles pas dans les mêmes dîners mondains et masculins que moi. Où passent-elles ces jours-là ? Enigme ultime. Quant au fait que 80% des mes amis soient des hommes, je suspecte en partie un de mes « modes opératoires de socialisation ». Etant donné que je suis un peu huître, que j’ai du mal à me livrer aux autres, d’histoires de séduction, d’une éventuelle intimité partagée, peuvent naître des complicités, des liens. On se « découvre » plus facilement.
Bon, trêve d’introductions. Je me trouvais hier en compagnie de trois de ces spécimens de sexe masculin, dont certains d’entre eux ont dit le plus grand « bien » de ce blog. Un et demi sur trois. Ils étaient notamment horripilés par les chiffres, par le 50-50 des tâches ménagères (« mais quelle horreur de quantifier compter évaluer soupeser, quel tue-l’amour, quelle déchéance des grands sentiments ») et par ce qu’ils qualifient de conversations ennuyeuses et subsidiaires au regard des grandes questions du féminisme actuel qui devraient plutôt nous occuper et que sont les femmes battues, mariées de force, voilées, excisées, etc. Quand je suis avec eux, j’ai tendance à penser, je veux croire, qu’ils me voient comme un des leurs, avec des couilles rabattues sur table et tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes car point d’animosités, point de dossiers compliqués. Nous parlons librement et tranquillement. Ce sont des personnes intelligentes et nuancées, mais mais. Hier, puisque nous avons parlé féminisme et blabla, j’ai remarqué tout de même que : 1) ils parlent énormément de leur sexe 2) ils ont peur que des lesbiennes viennent la nuit leur arracher ce sexe avec les dents 3) ils évoquent des femmes qui, comme des fantômes, ont disparu, qui furent un temps, un autre temps leurs amies et ne sont plus en 3a) précisant leur aspect physique 3b) spécifiant s’ils ont couché ou pas avec 3c) synthétisant l’information, la validant entre eux et l’estampillant d’un sceau définitif.
Ça ne m’avait jamais sauté aux oreilles à ce point. Hier soir en les écoutant je souffris un moment d’angoisse intense, silencieuse et transitoire. Je me demandais notamment 1) pourquoi était-il question d’époques (l’époque machine, l’époque machine bis, etc) et pourquoi ces époques étaient-elles révolues 2) pourquoi, puisque le temps avance quoiqu’il arrive et qu’il est impossible de l’arrêter, eux, représentants masculins, survivaient-ils à ces époques comme des cafards aux explosions nucléaires 3) allais-je moi-même survivre à l’époque présente étant donné que 3a) j’ai un aspect physique de femme soumis à des variations et susceptible d’être évalué sur l’échelle bien connue du thon-canon 3b) j’ai dormi au moins une nuit avec les trois spécimens en question (pas en même temps, on s’entend) 3c) pour ce qui est circulation de l’information, je peux être sûre que ce que je dis sur l’un à l’autre sera répété de l’un à l’autre.
Fatiguée, je me suis ventilé le cerveau dans les toilettes avec des pensées dites « positives » : - après tout rien n’empêche les femmes d’en faire autant (mais en dépit d’efforts insensés de mémoire, impossible de me remémorer un cas semblable inversé)- et -tout ceci n’a rien à voir avec le machisme mais avec l’hétérosexualité-.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Et, pourrais-tu ajouter : "Part.II, 3d): sachant qu'ils auraient bien été incapables, les uns et les autres, de coucher entre eux", ce qui redouble l'asymétrie de l'interaction, et accroie le sentiment de solidarité masculine bien connue du partage de l'experience de cul... C'est en tout cas une hypothèse que je lançais hier soir à voix haute à une amie elle aussi adepte du copinage sexuel, à propos de cette soirée même dont tu fais ici l'éxégèse critique. ô, dieu Hétéronormativité, quand tu nous tiens !
TH

Jill alameda a dit…

Complètement d'accord, indispensable pour bien expliquer ce genre de soirée, j'y avais pensé, j'ai oublié en rédigeant.

Anonyme a dit…

Ceci dit, il faut faire attention au fait que nous ne disions pas tous la même chose, et que c'est aussi une forme de violence ou de mépris que de cataloguer en "gars banalement viril" univoque ceux que tu qualifie par ailleurs de "personnes intelligentes et nuancées"... Ca peut vexer : c'est sûrement ce que vous reprochez aux hommes, cette tendance à vous assigner constamment à la catégorie de LA femme, ou encore de vous clouez au continuum "beauté-thon"... Douce vengeance peut-être, mais pas révolution copernicienne pour un sou !
Cordiale bourrade,
TH

Jill alameda a dit…

Mais monsieur, toute la discussion est là, au fond, est-ce qu'on s'octroie la catégorie de LA femme en dépit de nos efforts contraires (des miens du moins) ou est-ce qu'on nous la renvoie? Les deux à mon avis, d'où le fait qu'on soit dans la merde un petit peu. Individuellement nous nous en sortons, "intelligents et nuancés" je disais, oui, nous savons parler de tu à tu, mais collectivement ça devient plus compliqué pour TOUT le monde de ne pas tomber dans les clichés involontairement et souvent assez inconsciemment.
Le cas de la prise de parole par exemple: quelle prise de parole peut avoir une femme lorsque trois mecs parlent d'une expérience commune pour eux qui est celle d'être arrivés à la sexualité de manière un peu violente car spécifique à un certain milieu social où justement la virilité est importante? Aucune, car la sienne n'est pas la même. Où s'agit-il d'une question de classe? Est-ce que "cette" (mouarf) femme ne peut pas partager son expérience parce que c'est une putain de bourgeoise qui est arrivée elle, à la sexualité de manière soft et conventionnelle? En tant que sale gauchiste, bien évidemment, pour moi une femme bourgeoise est plus près d'un homme bourgeois que d'une pauvre (j'allais écrire prolétaire, mais merde, non, pauvre)et un riche d'une riche que d'un chauffeur de taxi.

Et, bien sûr, jamais je ne mettrais tous les hommes dans le même sac ni même dans juste deux ou trois gros sacs. Je ne mets même personne dans le sac d'une autre. Et si je ne discute pas féminisme trois secondes avant je n'y pense jamais. Sauf quand on me fait y penser.

Anonyme a dit…

Soit, ton argumentation est intéressante, et met bien en lumière le caractère "systémique" des formes de domination : leur logique implacable tendrait, malgré les particularismes, les singularités, à re-produire les effets d'aliénation - et ton exemple de la conversation de laquelle tu es de facto "expulsée", comme baillonnée, est éclairante -. Le "ils" incarne l'implacable dispositif, produisant la machinerie, etc. Ainsi que tu le dis, ce "ils" est aussi un "elles" : la re-production touche tout autant les femmes qui, bien que souvent conscientes du fait de la domination, n'en sont pas moins tentées de consentir (fatalité), voire même parfois d'encourager (collaboration) -. Ton fameux "TOUT le monde"...
D'autre part, toujours dans cette optique "systémique", et j'abonde encore, les jeux de solidarité sont complexes dès lors que l'on croise les rapports de domination : E. Badinter citait à juste titre le cas-type d'une femme noire s'observant dans un miroir - suis-je avant tout "femme" ? Suis-je avant tout "noire" ? -.
Tout autant, du point de vue de la domination économique, on voit bien la tendance qui se dessine depuis les années 90 : les classes moyennes (là, tu rales, non ?) que l'on nomme progressistes, c'est-à-dire davantage intéressées par le capital culturel que par le capital économique, on tendance à construire une égalité entre hommes et femmes de façade ; si le couple vit des rapports égalitaires - double salaire, double carrière, même rejet de l'entretien de la sphère domestique -, c'est pour mieux transférer ce travail jugé pénible - et, de fait, il l'est, chiant ! - aux femmes des classes populaires : la "femme de ménage" qui repasse les chemises de Monsieur ET de Madame. C'est bien alors au nom d'une solidarité de classe sociale dans le couple que se reconstruit l'inégalité des classes sociales de sexe... "La femme de ménage" se trouvant alors dans une position de précarité dans le travail : absence de perspective de carrière, retributions instables, temps partiels ET dispersés, etc... Auquel s'ajoute le travail domestique pour son propre couple.
Mais - car il y a un mais -, cette analyse a un point faible, et c'est ce qui fut reproché à Bourdieu notamment : c'est qu'elle met en perspective une situation à un moment T, comme une photo des inégalités sociales, sans s'intéresser aux dynamiques permettant l'évolution du système : les hommes seraient irrémédiablement inscrits dans la "libido dominandi", sans perspective de changements. Or, pour envisager le changement (en mieux, en pire ?), il faut bien, à un moment donné, observer les micro-évolutions, transgressions souvent minimes quant à la norme, et qui pourtant créent des fissures dans le rapport de domination.
J'arrête là mais le sujet me passionne... Et je suis d'un naturel bavard. Et je comprends évidemment que tu es pris le parti de mettre en relief le regard systémique au détriment d'une perspective plus "nuancée", ou "dynamique" : après tout, tu as ressenti cette pression uniforme, implacable, etc., et c'est d'elle dont tu nous parles. Et j'y ai participé, cela va sans dire. Il n'est donc nullement dans mes intentions de mettre en question ta bonne foi.
Baise-main galant (haha),
TH -
mono(b)logueur

Jill alameda a dit…

Je suis assez d'accord, faut compter sur les micro-évolutions. Bon, par contre faut pas exagèrer, je n'ai pas senti de pression implacable, j'ai juste constaté mon silence et souffert une petite angoisse lorsqu'il a été question de meufs. ça vous arrive aussi lorsque vous avez l'occasion d'entendre des meufs parler de mâles.

Anonyme a dit…

comment, même pas une petite aliénation ? blood n'guts, tout est à refaire !
TH